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Question 96:

Pourquoi n'acceptez-vous pas l'Evangile de Barnabé ? (TR)

 

Réponse : 1. La signification de l'Evangile de Barnabé

Le soit disant Evangile de Barnabé (dans la suite : EB) est apparu dans la période allant du 14ème au 16ème siècle après le Christ. Il est disponible dans deux manuscrits, en espagnol et en italien (mais non en grec, latin ou hébreux). Il na obtenu aucun succès dans le monde chrétien, car il se situe, selon l'opinion des non-musulmans, dans la ligne de toute une série d'évangiles falsifiés, qui ne peuvent en aucun cas prétendre à l'authenticité.

 

Pourquoi donc ce texte, qui contient de nombreuses affirmations qui diffèrent des enseignements bibliques, a-t-il pris une telle importance pour le monde islamique ? Les considérations suivantes se proposent de répondre à cette question et, en même temps, apporter les raisons pour lesquelles aucun lecteur informé et objectif ne peut accepter sa prétention à être un évangile authentique.

 

Le texte de notre réponse redonne sous forme abrégée et parfois sous forme légèrement différente un texte de Christine Schirrmacher, spécialiste bien connue des sciences religieuses : „Lektion 20: Das Barnabasevangelium als Beispiel für die christlich-muslimische Kontroverse, voir: Christine Schirrmacher, Der Islam 2 (Neuhausen/Stuttgart: Hänssler, 1994), p. 268-289. ISBN 3-7751-2133-1.

 

Le texte de EB est mentionné sous le nom d'Evangile de Barnabé pour la première fois au 18ème siècle par des auteurs européens et il devient au cours des 19ème et 20ème siècles l'objet d'une controverse entre chrétiens et musulmans. Tandis que les non-musulmans considéraient l'EB pratiquement tous comme une falsification remontant à l'époque de transition entre le Moyen Âge tardif et l'époque moderne, les musulmans, eux, sauf quelques exceptions, ont estimé que l'Evangile de Barnabé était le seul évangile existant véritable de Jésus Christ, remontant au premier siècle après J.C. Jusqu'à aujourd'hui, la question de l'authenticité de EB demeure un point de controverse entre chrétiens et musulmans dans bon nombre de pays islamiques.

 

Jusqu'à aujourd'hui, on ne voit pas encore clairement quel pourrait être l'auteur de l'évangile de Barnabé, ni dans quelles circonstances et avec quelle intention il a été rédigé. Le problème de la rédaction trouve facilement une réponse. Beaucoup d'indices parleraient d'une période entre le 14ème et le 16ème siècle. Le problème des circonstances et des intentions sous jacentes à l'évangile de Barnabé est plus difficile à résoudre. Les non musulmans émettent l'hypothèse qu'un ancien chrétien, qui se serait converti à l'Islam et qui, par le fait même connaissait bien le christianisme et l'Islam, pourrait avoir écrit un tel évangile.

 

Les musulmans, par contre, pensent, depuis le 19ème siècle, la plupart du temps, qu'il s'agit, en ce qui concerne l'EB, du « véritable Evangile » de Jésus Christ, qui, à l'opposé des quatre autres évangiles falsifiés, contient « la vérité objective » - à savoir la doctrine islamique. Les auteurs musulmans s'efforcent de prouver la vérité de l'Evangile de Barnabé en cherchant des traces ou des précurseurs de ce texte dans l'histoire des communautés chrétiennes primitives. On présente de nombreux documents de lhistoire des premières communautés chrétiennes afin de prouver que l'auteur de l'EB et ces documents primitifs sont identiques.

 

Dans le détail, il s'agit de la brève lettre de Barnabé (elle ne contient que 21 petits chapitres), les actes de Barnabé (une œuvre faussement attribuée à Barnabé, datant du 5ème siècle, en langue grecque), le Codex Barocci 39 (un bref fragment de texte), le Decretum Gelasianum de libris recipiendis et non recipiendis (du 4ème/5ème siècle après J.C.), qui cite un Evangile de Barnabé et la « Liste des 60 livres canoniques » (datant du 7ème/8ème siècle). Cependant tous les documents ainsi que l'histoire de lEglise primitive ne donnent aucune indication sur une éventuelle relation avec l'EB, à propos duquel il y a controverse aujourd'hui entre les chrétiens et les musulmans.

 

2. Le contenu de l'Evangile de Barnabé

Aujourd'hui il n'existe qu'un manuscrit complet en italien comprenant 222 chapitres, le Codex 2662, qui se trouve à la Bibliothèque nationale d'Autriche et qui porte le titre italien de : Vero euangelio di essu chiamato chrissto nouo profeta mandato da DIO modo seconda la descritione di barnaba apostolo suo. Il contient une dédicace de Johannes Friedrich Cramer du 20 juin 1713 à l'intention du Prince Eugène de Savoie. Dans la suite, nous nous appuyons toujours sur la sérieuse édition et traduction de ce manuscrit de Lonsdale et Laura Ragg (Hg.) The Gospel of Barnabas. Edited and Translated from the Italian MS in the Imperial Library at Vienna. Oxford: Clarendon Press, 1907. (abrégé dans la suite du texte sous RR)

 

L'EB, qui met ensemble des éléments juifs, chrétiens et musulmans, décrit la vie de Jésus Christ et de ses disciples depuis l'annonce de la naissance de Jésus jusqu'à sa mort, à laquelle l'EB donne une tournure que lon trouve souvent dans les descriptions de la crucifixion du côté musulman : ce n'est pas Jésus qui meurt sur la croix, mais c'est Judas.

 

L'EB raconte la fuite des parents de Jésus en Egypte, les déplacements de Jésus, ses miracles, ses paraboles et ses enseignements, la dernière Cène, la trahison, le procès, la crucifixion de Judas et l'ascension de Jésus. La partie principale de l'EB concerne l'activité d'enseignement de Jésus et tout particulièrement la formation de ses disciples.

 

3. La Bible et le Coran dans l'EB

Le lecteur a souvent des réminiscences du Coran. Mais le Coran n'est jamais cité littéralement. Par contre, l'auteur a repris nombre de citations de la Bible dans la traduction latine de la Vulgate. Parmi les 39 livres de l'Ancien Testament que l'auteur semble bien connaître, l'EB en cite ou en mentionne 22, ainsi que quelques écrits apocryphes. Le rédacteur fait directement ou indirectement allusion à 19 des 27 livres du Nouveau Testament. Mahomet est, dans l'EB, lenvoyé de Dieu annoncé. Lors de sa venue, il est doté de qualités absolument exceptionnelles, à savoir « de l'Esprit d'intelligence et de conseil… de science et de force… de crainte et d'amour… de perspicacité et de prudence… de douceur et de patience » (RR, XLIV/105).

 

4. Jésus Christ et la crucifixion

Dès le début, l'EB soppose à ce que de beaucoup, sous le prétexte de piété, répandent le doctrine néfaste prétendant que Jésus aurait été le fils de Dieu. Jésus soppose avec violence, chaque fois que lon voudrait le désigner comme fils de Dieu ou comme Dieu. « Je suis un homme mortel comme les autres hommes » (RR LII/122). Quand Pierre l'appelle fils de Dieu, Jésus jure « par le Ciel » qu'il n'est qu'un homme (RR XCII/214+XCIV/216, e.a.).

 

Par contre, Jésus est désigné comme le « saint de Dieu », le « serviteur de Dieu » ou « un grand prophète de Dieu ». Dans l'EB, il répète toujours à nouveau quil n'est qu'un homme, poussière et glaise. C'est Satan qui trompe les incroyants en disant que Jésus est Dieu et le fils de Dieu. Jésus explique à son disciple Barnabé : si les hommes n'avaient pas appelé Jésus Dieu, Jésus aurait été conduit au paradis après qu'il aurait quitté le monde. Jésus dit, dans l'EB : « Je te le dis, si je n'avais pas été appelé Dieu, j'aurais été emporté au paradis au moment où j'aurais quitté le monde » (RR, CXII/256).

 

Quand on le questionne sur le péché le plus grave, Jésus répond que c'est l'idolâtrie. Un homme se rend coupable d'idolâtrie lorsquil appelle Jésus Dieu. A partir de nombreuses affirmations disant que Jésus n'est pas le fils de Dieu et à partir de l'insistance mise sur ces affirmations, on peut certainement avoir limpression que lenseignement principal de l'EB est de rejeter le dogme chrétien de la divinité de Jésus.

 

Bien qu'il ne soit pas fils de Dieu, Jésus guérit les malades, mais à chaque fois il fait remarquer qu'au fond cest Dieu qui guérit la maladie. Il est impossible à Jésus de pardonner aux pécheurs. Mais il peut, en tant que « serviteur de Dieu » occasionnellement, intercéder auprès de Dieu pour les péché d'autrui (RR, LXXI/164).

 

Le but de la mission de Jésus est l'envoi d'un prophète de Dieu à Israël, pour rappeler à Judas et à Israël la loi de Dieu :

« Il y a un prophète de Dieu qui est envoyé au peuple d'Israël, afin de convertir le cœur de Judas et pour qu'Israël marche avec la loi du Seigneur comme cest écrit dans la loi de Moïse » (RR, II/7).

 

Dans l'EB, Jésus n'est pas le Messie, comme dans le Nouveau Testament et dans le Coran. Cest bien plutôt Mahomet qui est désigné comme Messie. Jésus aimerait le servir : « Je suis le serviteur de Dieu, qui aimerait servir l'envoyé de Dieu » (RR, CCVI/454).

 

Jésus n'est cependant pas seulement l'envoyé et le serviteur de Dieu et un homme qui rappelle à Israël et à Juda la loi de Dieu. En outre, il endosse le rôle de Jean Baptiste, qui n'est pas mentionné dans l'EB : Jésus prépare la voie à Mahomet, l'envoyé de Dieu, qui apportera le salut au monde.

 

Lors de la dernière Cène avec ses disciples, Jésus pertinemment que Judas va le trahir. Jésus annonce à ses disciples que lon va essayer de la tuer. Mais il est certain que Dieu va le sauver de la crucifixion. Jésus ne mourra pas, mais il vivra éternellement. La délivrance de la crucifixion est un signe de l'amour de Dieu. Au fond, Jésus aurait mérité une punition, parce que les hommes l'ont appelé Dieu. Mais comme il na jamais cessé de dire la vérité – qu'il n'est pas le messie et qu'il n'est pas Dieu – c'est un méchant qui mourra à sa place.

 

Au cours du récit, on voit clairement que c'est Judas qui mourra pour Jésus. Judas avait espéré que Jésus deviendrait roi d'Israël. Il avait projeté de le trahir et de le livrer entre les mains des prêtres, des scribes et des pharisiens.

 

Dans les huit derniers chapitres de l'EB, on décrit la crucifixion, que l'on pourrait considérer comme une explication des vagues indications coraniques à propos de cet événement dans la sourate 4,157-158 : Judas trahit Jésus pour trente pièces d'or et amène les soldats jusqu'à lui. Jésus, de peur, se retire dans une maison, tandis que les onze disciples restants se sont endormis. Dieu ordonne alors aux quatre archanges Gabriel, Michel, Raphaël et Uriel de retirer Jésus du monde. Ils emportent avec eux Jésus par une fenêtre orientée vers le Sud et l'emmènent dans le troisième ciel, où il loue Dieu en compagnie des anges.

 

Tandis que Jésus échappe de cette façon, à l'aide de Dieu, à ses persécuteurs, Judas, de par son accent et de par son apparence, ressemble à s'y méprendre à Jésus. On le prend pour Jésus, bien qu'il essaye de donner des explications sur sa réelle identité. Les soldats se saisissent de Judas et le ligotent. Judas est emmené chez le grand prêtre. Il sest tellement mis à ressembler à Jésus que l'on croit l'avoir devant soi. Les autres disciples aussi, sa mère et ses amis ne doutent plus du tout que cest bien Jésus qui a été arrêté. Judas donne encore d'autres explications sur son identité réelle, mais on ne le croit pas. Les grands prêtres, les anciens, les scribes et les pharisiens sont bien d'accord que le prisonnier est bien Jésus lui-même, car Dieu avait décidé que Judas devrait subir la mort atroce qu il avait voulu faire subir à un autre par sa trahison (cf. RR, CCXVII/478). Judas est maltraité et on se moque de lui. Finalement il est crucifié et il crie (tout comme dans le Nouveau Testament à la croix : « Dieu, pourquoi mas-tu abandonné ? » (RR, CCXVII/480) Puis Judas meurt sur la croix.

 

Et voilà que des disciples dérobent le corps de Judas durant la nuit et le cachent. Ils répandent ensuite la nouvelle que Jésus est ressuscité, ce qui occasionne un grand trouble. Le grand prêtre ordonne de garder le silence sur cette rumeur.

 

Le chapitre suivant confirme que Jésus est monté au troisième ciel. Il y témoigne expressément quil n'est pas mort. Jésus exprime encore une fois son innocence, qu'il ne s'est pas appelé fils de Dieu, afin que les démons ne se moquent pas de lui le jour du jugement. Seuls les hommes l'ont appelé Dieu et fils de Dieu. Mais Dieu lui-même a décidé que, dans ce monde, on devrait se moquer de lui à travers la mort de Judas, car tous les gens présents étaient convaincus que Jésus a été crucifié et est mort. Ces moqueries dureront jusqu'à la venue de Mahomet, l'envoyé de Dieu (cf. RR, CCXX/484).

 

Jésus donne à Barnabé la mission de composer un évangile. Barnabé promet de l'écrire. Jésus assure à nouveau à quelques disciples qu'il nest pas mort ni ressuscité. Mais c'est Judas qui a été crucifié à sa place (RR, CCXXI/486).

 

5. L'évangile de Barnabé est-il un évangile islamique ?

L'EB contient des éléments islamiques, ce qui fait penser fortement au Coran ou à la tradition musulmane, bien que, abstraction faite de la personne de Mahomet, il n'est officiellement nulle part question de l'Islam. Voici les indications les plus importantes :

 

L'EB émet le reproche de la falsification de l'Ancien Testament par les traditions humaines des « faux pharisiens » (CJXXXIX/424).

 

Plusieurs prophètes comme Adam, Abraham, Ismaël, Moïse, David et Jésus, le fils de Marie, sont considérés comme des « envoyés de Dieu ». Adam récite même la confession de foi islamique.

 

La promesse de la naissance de Jésus a même été faite, selon l'EB, à Ismaël et non à Isaac. Ismaël a été sacrifié par Abraham à la place d'Isaac.

 

Jésus ne descend pas de David. Marie et Joseph ont reçu lordre de Dieu d'éloigner Jésus du vin, des boissons fortes et des viandes impures, à savoir de la viande de porc. Jésus n'a été envoyé qu'à Israël. Lorsque Jésus reçoit à l'âge de trente ans sa révélation, il est enveloppé, durant la prière de midi, par une lumière éclatante et des anges l'entourent, tandis que l'ange Gabriel transmet à Jésus un livre qui pénètre dans son cœur.

 

Jésus désigne Mahomet comme plus grand que lui, dont il n'est pas digne de défaire la courroie de sa sandale. Jésus reprend ici le rôle néotestamentaire de Jean le Baptiste. Jésus annonce la venue de Mahomet en citant son nom et il prie de Dieu de l'envoyer pour sauver le monde.

 

La crucifixion de Judas ne s'harmonise pas aux récits des évangiles, mais elle pourrait être mise en relation avec le seul passage coranique parlant de la crucifixion (Q 4,157-158).

 

L'EB prend certainement un tour apologétique dans l'interprétation du christianisme quand il laisse entendre que l'apôtre Paul s'est écarté de certains dogmes chrétiens. Cest ainsi que Barnabé accuse Paul de l'avoir trompé à propos de l'enseignement de la filiation divine de Jésus.

 

6. L'EB contredit le Coran

Toutefois il faut ici rappeler avec force quil y a également dans l'EB des affirmations qui ne peuvent être mises en accord ni avec le Coran, ni avec la Bible.

 

Parmi les affirmations qui diffèrent du Coran, on trouve des développements à propos de lenfer : un séjour temporaire pour les pécheurs. En contradiction avec le Coran, l'affirmation toujours répétée, que Mahomet est le messie. L'EB nie souvent que Jésus est le messie. Mais il l'appelle cependant « chrissto » (Christ). Aussi pense-t-on que l'auteur ne savait pas que « Christus » est la traduction grecque du mot hébreu « Messie » (« lOint »).

 

Dans le Coran, Jésus est né à Jérusalem, dans l'EB à Bethlehem. Dans le Coran, il est né sous un palmier, dans l'EB dans une auberge. Dans le Coran, Marie éprouve beaucoup de douleurs lors de la naissance (cf. Q 19,23), dans l'EB, elle met Jésus au monde sans douleurs.

 

Le Coran connaît sept cieux (Q 2,29), l'EB en connaît neuf. Le dixième ciel est le paradis.

 

L'EB défend clairement la monogamie, tandis que la majorité des musulmans trouvent dans Q 4,3, la permission d'épouser jusqu'à quatre femmes.

 

7. Erreurs objectives dans l'EB

L'EB signale lui-même que l'évangile a été falsifié. Si Barnabé avait effectivement été un contemporain de Jésus, le Nouveau Testament ne serait pas clôturé. Ainsi, l'EB aurait prédit sa propre destinée.

 

De plus, l'auteur de l'EB, en faisant des erreurs géographiques et historiques flagrantes, manifeste qu'il n'a jamais visité la Palestine, ni qu'il aurait pu vivre au premier siècle de l'ère chrétienne.

 

Dans l'EB, Nazareth est situé au bord de la mer de Génésareth. Mais Nazareth se trouve sur une colline. Jésus, selon le récit de lEB, monte de la mer de Génésareth jusqu'à Capharnaüm. Mais Capharnaüm est situé directement au bord du lac. L'EB raconte que Jésus est monté dans une barque et qu'il a navigué vers Jérusalem. Mais Jérusalem est à l'intérieur des terres et ne peut être atteinte par bateau. Ninive se trouve, selon l'EB, à proximité de la côte de la Mer Méditerranée. Or elle se situe à l'intérieur des terre au bord du Tigre.

 

La chronologie de la naissance de Jésus, selon l'EB, ne correspond pas aux années de règne de Pilate, d'Ananie et de Caïphe selon la tradition historique. L'EB parle de 5.000.000 de soldats romains en Palestine. Un nombre aussi important de soldat, au premier siècle de notre aire, ne pouvait sans doute se trouver que dans l'ensemble de l'empire romain, en aucun cas en Palestine seulement. L'EB parle de 17.000 pharisiens à l'époque de l'Ancien Testament. Mais le parti des pharisiens na vu le jour qu'au deuxième siècle avant J.C.

 

L'EB décrit un été européen : « tout porte fruit » (RR, CLXIX/390). Mais en Palestine, il pleut en hiver, et, en été, la terre est sèche.

 

8. Eléments en faveur d'une rédaction remontant au Moyen Âge ?

 

Si l'on fait abstraction des résonances à des dogmes islamiques dans le texte de l'EB, des affirmations qui ne peuvent être harmonisées avec l'histoire et la géographie de la Palestine, et du fait qu'il n'y a aucune source fiable qui parle du contenu d'un évangile de Barnabé avant le 18ème siècle, un certain nombre d'éléments dans le texte même parlent en faveur d'une date de rédaction remontant au Moyen Âge finissant ou au début de l'époque moderne, entre le 14ème et le 16ème siècle. A partir des nombreux exemples qui semble rendre assez improbable une datation du texte qui remonterait jusquaux premiers siècles chrétiens, on peut citer les suivants :

 

Les éditeurs de la première édition de l'EB, Lonsdale et Laura Ragg, ont, déjà en 1907, attiré l'attention sur des parallèles frappants entre l'EB et les œuvres du plus grand poète italien, Dante (Alighieri) (1265-1321), comme La Divina commedia, et plus particulièrement à propos de la représentation de Dante du ciel, de l'enfer et du paradis. En ce qui concerne la relation directe des deux textes l'un par rapport à l'autre, Lonsdale Ragg a exprimé la conjecture que l'EB et la Divine comédie de Dante ont vu le jour indépendamment l'un de l'autre, mais dans un rapport étroit lun avec lautre en ce qui concerne le contexte de leur apparition. Des recherches ultérieures ont élargi cette période jusqu'au 16ème siècle.

 

L'EB promeut des comportements qui rappellent fortement l'ascèse monacale du Moyen Âge. C'est ainsi que dans plusieurs passages le rire est condamné comme un péché. Mais pleurer est un signe de spiritualité (cf. CII/236).

 

LEB cite les versets bibliques d'après la traduction latine de la Vulgate, qui a vu le jour seulement à la fin du quatrième siècle et est devenue la Bible catholique officielle.

 

L'EB raconte que Jésus et ses disciples auraient « observé les 40 jours » (RR, XCII/212). Les quarante jours de jeûne avant Pâques ne furent introduit qu'au quatrième siècle après J.C. et ils devaient rappeler la passion et la mort de Jésus, ce qui était impossible avant sa mort.

 

L'EB parle d'une monnaie en or, le dinar à 60 minutes (RR, LIV/128). Cette pièce n'a été utilisée que durant une courte période au Moyen Âge en Espagne ; un argument qui semblait appuyer l'hypothèse d'une création de l'EB en Espagne.

 

Dans l'EB, on mentionne des tonneaux en bois pour la conservation du vin, mais au Moyen Orient, ce sont les outres de cuir qui sont courantes.

 

A l'opposé du Coran, l'EB écrit que Marie met au monde son enfant sans douleur, une doctrine qui n'est apparue dans l'Eglise qu'au Moyen Âge.

 

L'EB accentue l'importance des aumônes, du jeûne, du pèlerinage et de la prière cinq fois par jour, que Jésus pratique aussi (cf. RR, LXXXIX/206), ce qui plaide pour un texte qui remonte au-delà de la naissance de l'Islam.

 

Dans l'EB, on appelle « pomme » le fruit défendu dans le paradis, qui n'est pas précisé davantage dans lAncien Testament (cf. RR, XXXIX/90) ; il s'agit également d'un développement de l'histoire de l'Eglise plus tardive.

 

La plupart des études provenant de milieux non musulmans s'appuient sur ces éléments, et quelques autres, pour refuser à l'EB le statut de document de l'Eglise primitive.

 

9. Lintroduction de lEB dans le monde musulman

 

On ne sait pas encore aujourd'hui quel est l'auteur musulman qui s'est exprimé pour la première fois au sujet de l'EB. On peut trouver les premières mentions de l'EB chez des apologètes musulmans à partir du milieu du 19ème siècle. A partir de ce moment-là, les auteurs musulmans affirment toujours à nouveau qu'il existe un évangile de la chrétienté primitive qui prouve la vérité de l'Islam. Il faut nommer ici en particulier Muhammad Raschid Rida (1868-1935), un éminent apologète égyptien, théologien de la réforme et disciple de l'encore plus célèbre Muhammad Abduh (1849-1905). Cest lui qui a joué un rôle capital pour la diffusion de l'EB dans le monde musulman, dans la mesure où, après la parution de l'édition anglaise et de la traduction de L. et L.Ragg, dans la même année 1907, il fit traduire le texte en arabe et il l'accompagna d'un jugement favorable en faveur de l'EB. Il contribua ainsi de façon décisive à sa diffusion et à l'encouragement non critique de lEB dans le monde islamique. Muhammad Rida s'est également montré intéressé par l'EB dans la mesure où il fut lui-même un partisan décidé de la supériorité de l'Islam sur le christianisme et que, dans de nombreuses publications en réaction à des écrits de théologiens européens qui pratiquaient la méthode historico-critique, il s'était efforcé de montrer le manque patent de logique, la fausseté et le manque total de crédibilité historique du christianisme.

 

Parmi les études les plus détaillées, du côté musulman, pour justifier l'EB, il faut certainement compter celle de M.A. Yusseff : Les rouleaux de la Mer Morte, l'Evangile de Barnabé et le Nouveau Testament (titre original : The Dead Sea Scrolls, the Gospel of Barnabas and the New Testament (Indianapolis, 1985). Sur presque 130 pages, Yusseff s'efforce de rétablir la chaîne de tradition (en arabe isnād) allant de l'EB jusqu'à ce Barnabas nommé dans le Nouveau Testament. Voici sa prétention : « Ce livre est le premier de toute une série dœuvres qui se basent sur une démarche scientifique… Quelles nous laissent pressentir la vérité » (ibid., p.1)

 

Afin de pouvoir justifier fondamentalement l'EB, il entreprend une relecture critique de l'histoire de l'Eglise primitive. Que Jésus ne fut ni Dieu ni fils de Dieu, c'est ce que l'auteur s'efforce tout d'abord de prouver à l'aide de la méthode historico-critique.

 

Il attaque la Trinité et justifie la mission de Mahomet, mais ils n'ouvre pas la discussion à propos des objections à l'authenticité de l'EB telles que nous les avons présentées ci-dessus. Selon Yusseff, Barnabé a écrit l'évangile, après sa rupture avec Paul, en le rapprochant de l'évangile de Matthieu, pour s'opposer à la conspiration des Nicolaïtes, qui avaient transformé des textes bibliques. Ce groupe des Nicolaïtes, pour qui, selon Yusseff, Jésus était le Fils de Dieu, - groupe auquel l'apôtre Paul aurait également appartenu,- a également composé de « Decretum Gelansium » (sic ! = Gelasianum) des écrits interdits, parmi lesquels se trouvait aussi l'EB.

 

L'Eglise chrétienne contemporaine se situe, selon Yusseff, dans la tradition de ces Nicolaïtes ; aussi refuse-t-elle l'EB et n'est-elle pas l'héritière de la foi légitime abrahamitique. Pire, la culture gréco-romaine a influencé les contenus de foi religieuse juive jusqu'au syncrétisme. La tentative d'honorer un homme comme Dieu (Yusseff pense ici au parallélisme avec la divinisation de César) remonte, tout comme le dogme de la Trinité, à des origines païennes. Les descendants spirituels d'Abraham sont en fait, d'un point de vue spirituel, les musulmans. (ib., p.123)

 

Bilan :

 

A la lumière de ces différentes appréciations et affirmations, le lecteur, qui cherche à connaître la vérité en la matière, accordera surtout du prix à une lecture personnelle, dans une ouverture critique, du texte original de l'EB, afin de parvenir lui-même à un jugement fiable. Il sera important pour cela de s'assurer que l'on étudie le texte original dans une traduction effectivement fiable. La traduction anglaise de L. et L. Ragg est élaborée avec soin et correspond aux critères scientifiques.

 

Ajoutons encore une question : Est-il possible de taxer les affirmations doctrinales des quatre évangiles canoniques, de façon aussi simpliste, de points de vue marginaux propres à un certain nombre de chrétiens pauliniens égarés ? En dautres termes, peut-on nier sans plus l'autorité des écrits du Nouveau Testament en tant que Sainte Ecriture constitutive du christianisme et exprimant authentiquement la foi chrétienne sans, en même temps, fermer les yeux sur le phénomène de la foi chrétienne et sur les Eglises chrétiennes qui confessent et pratiquent cette foi et se savent toutes débitrices de ce Nouveau Testament ?

 

Et enfin, comment peut-on accepter un texte comme évangile authentique, quand, aussi bien par rapport à l'Ecriture Sainte des chrétiens que par rapport également au Coran, il contient autant d'erreurs et de contradictions et qu'il porte clairement les traces d'une durée d'élaboration qui se situe des siècles après l'apparition du Nouveau Testament, tout comme aussi après l'époque où est apparu le Coran ?

 

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J. Prof. Dr. T. Specker,
Prof. Dr. Christian W. Troll,

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