La multiplicité des religions
I. Les musulmans interrogent
- Pourquoi y a-t-il tant de religions, alors que Dieu a donné à tous les hommes une seule et même nature ?
- Toutes les religions, le christianisme en tête, prétendent être universelles. Comment différentes religions peuvent-elles être « universelles » ? Il n'y en a qu'une qui puisse être véritablement universelle. Les autres religions ne seraient alors qu'en partie ou temporairement vraies.
- Toutes les religions ont fomenté des guerres, jusqu'à nos jours : regardez par ex. le Liban, l'Irlande du Nord, le Sri Lanka, etc. Les religions sont, en effet, des superstructures qui sont manipulées ou instrumentalisées par des puissances impérialistes et socioéconomiques.
- Ne devrait-on pas plutôt partir de l'idée d'une religion universelle, une sorte de synthèse entre toutes les religions ?
- De nos jours, l'Eglise parle de liberté religieuse. Cela n'a pas toujours été le cas. Dans le passé, elle a utilisé à ses propres fins l'impérialisme et le colonialisme. La raison pour laquelle elle se fait maintenant l'avocate de la liberté religieuse n'est-elle pas qu'elle ne peut désormais plus arriver à ses fins ?
- Le principe de la liberté religieuse est bon. Pourtant : est-il permis que quelqu'un tourne le dos à la religion véritable et va même jusqu'à se convertir à une autre religion ? Le principe de la liberté religieuse ne représente-t-il pas un danger qui menace les religions ?
- Comment est-il possible qu'une personne qui lit le Coran ne devienne pas musulmane ? N'est-ce pas là de l'hypocrisie, à la manière des orientaux ?
II. Le point de vue musulman
En général
1. L'Islam est lunique religion parfaite et définitive. Il a intégré toutes les vraies valeurs des autres religions. Le musulman qui réfléchit selon la tradition s'étonne quil y ait encore aujourd'hui des juifs et des chrétiens, car ces religions ont fondamentalement perdu leur pertinence avec la venue de l'Islam. Le judaïsme et le christianisme ont un caractère provisoire et ne sont, dans le meilleur des cas, que partiellement vrais. Ils ont été pensés pour des communautés humaines restreintes. Il n'y a pas de vraie « valeur » religieuse en dehors de l'Islam, car l'Islam est la seule religion qui est universellement véridique.
2. Les « guerres de religion » sont des faits historiques. Dans le passé, elles eurent lieu entre le monde islamique et le monde chrétien, entre les catholiques et les protestants. Aujourd'hui encore, il se passe des épisodes guerriers au nom de la religion, voyez p.ex. le Liban, lIrlande du Nord, les Philippines, le Soudan, etc.
3. La participation de la religion du christianisme à l'impérialisme, au colonialisme et au nationalisme est un présupposé irréfutable pour beaucoup de musulmans.
4. Passer d'une religion à une autre ne peut pas être un droit. On naît en tant que membre d'une religion donnée et on doit s'y tenir, car elle représente un élément essentiel de l'identité personnelle, collective et nationale. Mais la conversion à l'Islam doit faire exception, car il s'agit ici de l'entrée dans une communauté et structure qui remplace toutes les identités partielles et les rend inutiles.
En détail
1. Le Coran tout entier génère le désir que tous les hommes soient réunis dans une seule et unique communauté religieuse, la Umma, selon ce que Dieu a voulu depuis le commencement. Mais bientôt les hommes se sont séparés en diverses religions, et chacune d'elle revendiquait d'être l'unique vraie religion (Sourate 10,19 ; 11,118 ; 21,92 ; 43,33).
2. L'islam est la dernière religion et il est parfait, conclusif et universel. Il a été annoncé par Mohamed, le « sceau des prophètes », comme le seul chemin véritable pour parvenir au salut (Sourate 3,19.73.85.110 ; 5,3 ; 9,33 ; 43,28 ; 61,9).
« Cest Lui, qui a envoyé Son Messager avec la règle et la religion de la vérité, afin qu'Il la fasse triompher sur toutes les religions, même si les adorateurs d'idoles le haïssent » (Sourate 9,33 : 61,9).
Il s'en suit qu'il est tout à fait normal que l'islam et sa prétention se tournent vers toute l'humanité (Sourate 7,158 : 34,28). Les autres religions sont, ou bien fausses (comme l'idolâtrie ou le polythéisme) ou provisoire ou encore seulement vraies en partie (comme « les religions du livre » : le judaïsme et le christianisme). Cette religion absolument unique doit se répandre partout, par l'annonce (da'wa : l'appel d'invitation à l'islam, équivalent au concept chrétien de « mission »), et, s'il le faut, par le glaive. Historiquement, l'islam a débuté comme un avertissement pacifique, plein de constance dans la persécution (à La Mecque) ; plus tard, il s'est également servi du glaive (à Médine). Après la mort du prophète, les « grandes conquêtes » ouvrirent la voie de l'islam dans beaucoup de pays. Dans les siècles qui suivirent, les musulmans ont mené, au nom de l'islam, de nombreuses guerres offensives et défensives. En général, la soumission des populations par l'islam se passa progressivement et pacifiquement dans les territoires conquis antérieurement par l'islam, ou également en dehors du monde contrôlé par les musulmans. Dans ce processus, les hommes d'affaire musulmans et les fraternités religieuses ont joué un rôle déterminant. Mais il ne faut pas négliger non plus la pression sociale exercée sur les non musulmans, là où ils vivaient dans des sociétés majoritairement musulmanes. Des apologistes musulmans contemporains insistent sur le fait que l'islam a été proclamé pacifiquement. Ils ne font alors pas mention des guerres qui ont été menées sous la bannière de l'islam (fî sabîl Allâh). De telles guerres ont toujours – dans la mesure où il y en avait – été des actions de caractère purement défensif, selon ces apologistes.
3. Le Coran proclame le principe que chacun est libre de croire ou de ne pas croire (Sourate 10,10-45 ; 17,84.89.107), en même temps que le principe si souvent répété de nos jours : « Pas de coercition dans la religion » (lâ ikrâha fî l-dîn, Sourate 2,256). Pourtant le Coran dit clairement, que les polythéistes ont l'obligation de croire ou alors quil faut les tuer (Sourate 9,5 ; 48,16). Par contre, on offre aux « gens du livre », le juifs et les chrétiens, le statut de protégés (dhimma) : ils peuvent garder leur religion, leur hiérarchie et leurs rites – même sils sont défectueux et dépassés par l'islam - , mais ils doivent payer une taxe spéciale (jizya) et ils doivent demeurer « modestes » (dans le sens de discret et subordonné) (Sourate 9,29). Le musulman qui quitte sa religion pour en rejoindre une autre ou en agissant ou en s'exprimant sans ambiguïté contre l'islam, sera condamné par Dieu (Sourate 3,85-90 ; 4, 137 ; 16,108) et doit être puni de mort (La Sourate 2,217 a été interprétée depuis longtemps ainsi par les juristes, et cette interprétation a été confirmée par de nombreux hadîs-s !).
4. De nos jours, beaucoup de pays islamiques disent, par l'intermédiaire de leurs représentants à la Commission pour les Droits de lhomme des Nations Unies, qu'ils sont daccord avec le principe de la liberté de religion, tel qu'il est formulé dans la Déclaration Universelle des Droits de l'homme (Art. 18, avec linsistance sur le liberté de pensée, de conscience et de religion), avec toutefois cette restriction quil n'est permis à personne de se détourner de la religion véritable (à savoir l'islam) (voir Islamochristiana ((Roma)), nr. 9 (1983), p. 158-159).
5. Dans la mouvance du contexte culturel contemporain et du pluralisme idéologique, de nombreux musulmans ont également adopté une attitude largement partagée aujourd'hui en Occident : il faudrait que chacun puisse suivre la voix de sa conscience. D'autres musulmans disent que toutes les religions se valent ; de plus, lislam et le christianisme sont fort apparentés, quand ils ne sont pas identiques en substance. Quand de telles remarques sont faites, il ne faut pas les comprendre généralement comme des aveux de syncrétisme ou d'indifférence. Elles sont bien plus la reconnaissance d'une certaine communauté fraternelle, celle de ceux qui veulent vivre de leur foi. Certains musulmans promeuvent une religion universelle, même si cela finirait par conduire à une sorte de syncrétisme. Enfin, il y a des musulmans qui croient que les religions – à commencer par le christianisme et l'islam – devraient sefforcer d'entrer dans un dialogue véritable, se rapprocher fraternellement, et laisser à Dieu de nous rendre plus proches les uns des autres, selon sa volonté. Le but ultime devrait être : donner ensemble dans notre monde le témoignage de la foi en Dieu.
III. La vision chrétienne
1. La Bonne Nouvelle, proclamée et vécue par Jésus, est la révélation de Dieu, Père de tous les hommes, amour inconditionnel de tous, avec une dilection préférentielle pour ceux qui sont humilié, pour les pauvres, les pécheurs, les marginaux. Jésus veut rassembler dans cet amour de Dieu les hommes de son peuple et tous les hommes. Tous les hommes – en premier lieu les « pauvres » - sont appelés à faire partie du « Royaume de Dieu », à savoir le Règne de l'amour de Dieu.
2. Dans le Nouveau Testament, qui témoigne de la foi de l'Eglise apostolique primitive, Jésus Christ est la Parole de Dieu, le révélation de Dieu la plus élevée, ultime et définitive. En Lui, Dieu se tourne vers tous les hommes, le christianisme est dans son essence universel. L'histoire montre que lEglise a compris sa mission comme universelle dès ses débuts. Elle avait conscience d'être au service de l'amour universel de Dieu, qui réconcilie tout (cf. 2 Cor 5,18-21 ; Eph 2,11-12).
3. Dun point de vue historique, le christianisme est né et sest étendu à partir de la foi dynamique des apôtres et des premières générations chrétiennes. Leur témoignage et leur annonce furent efficaces, malgré les persécution ou même grâce à elles. Après l'Edit de Milan (313 ap. J.C.), qui garantissait à l'Eglise la totale liberté religieuse et qui eut pour conséquence que l'Eglise devint bientôt le religion officielle de l'Empire, le christianisme fut impliqué dans un certain nombre de conflits guerriers, il fut coresponsable de la persécution de ceux qui avaient une foi différente, et il exerça sur eux une pression sociale. Il s'agissait principalement d'entreprises politiques, auxquelles on avait donné une couleur chrétienne, afin de leur donner encore plus de poids.
En ce qui concerne les croisades, c'est différent ; car ici, la motivation religieuse (la libération du Saint Sépulcre) a été clairement le motif principal. Il ne faut pas comprendre la relation entre le colonialisme et la mission avec un schéma unifié. A telle occasion, les missionnaires accompagnaient ou suivaient les colonisateurs (les portugais et les espagnols durant les 15ème et 16ème siècles) ; à une autre, ils arrivèrent les premiers ( en Afrique Centrale, en Chine et au Japon) ; à une autre occasion encore, les missionnaires se sont opposés à la colonisation (Las Casas en Amérique Latine ; en Afrique occidentale française).
4. L'appréciation des religions non chrétiennes du point de vue de la foi chrétienne a connu un long développement : depuis Justinien (mort en 165), qui parle de semence spirituelle qui, dans tous les hommes, attendaient la parole de Dieu pour pouvoir porter du fruit, en passant par la position d'Augustin d'Hippone (354-430), qui, dans le contexte de notre problématique, de façon rhétorique, considérait même les vertus des païens comme des vices, jusqu'aux théories qui accordent aux incroyants leur bonne foi (bona fides) et qui, par le fait même, ne les condamnent pas. Plus récemment, il y avait le théorie des « pierres d'attente » chez les non chrétiens (à savoir la doctrine théologique chrétienne des éléments de foi et de morale des peuples et des cultures, qui, pour ainsi dire, attendent leur accomplissement et leur explicitation à la lumière de l'incarnation de Dieu en Jésus Christ), ce qui a amené les conceptions plus généralement admise aujourdhui.
Parmi les nouvelles tentatives pour développer une théologie adéquate des religions non chrétiennes, deux méritent une attention particulière, dont la seconde a trouvé entre temps un large écho.
a) l'accent est placé sur la distinction entre foi et religion : cette théorie a tout dabord été présentée par les théologiens protestants Karl Barth (1886-1968) et Dietrich Bonhoeffer (1906-1945) et reprise plus tard, avec des modifications, par des penseurs catholiques comme par exemple Jean Daniélou (1905-1974). La religion est comprise ici comme le mouvement naturel de la créature humaine vers Dieu. Les religions sont les manifestations collectives de la religion. Elles la traduisent dans des rites, des formes de dévotions etc. Dans la conception de Barth à ses débuts, les religions sont positionnées négativement comme de pures créations humaines par rapport à la foi en la parole de la révélation. Daniélou la valorise positivement : chaque communauté humaine, chaque configuration de civilisation possède sa propre religion. C'est ainsi que lon peut parler d'une religion celtique, germanique, méditerranéenne, africaine, indienne, et, dans la religion chrétienne également, on peut trouver des caractéristiques comparables à ces religions.
D'autre part, la foi est la réponse humaine à la parole de Dieu, à Dieu, qui prend l'initiative de rencontrer ses créatures et de les interpeller. Si la religion est le mouvement de l'âme humaine vers Dieu, la foi, elle, est la réponse de l'homme à la parole de Dieu qui le rejoint dans la révélation. La foi en Jésus Christ doit « s'incarner » dans chaque « religion ». Si la foi, dans son contexte, entre en relation de façon pertinente avec les religions et les cultures formées par elles, elle transforme celles-ci et donne à leurs rites, lois et traditions une signification nouvelle. Daniélou en conclut que l'homme, par l'accueil de la foi chrétienne, « ne se déplace pas d'une religion dans une autre », mais que, bien plutôt, à l'intérieur de ce mouvement, sa propre religion prend une forme nouvelle et est transformée.
b) La distinction entre révélation générale et révélation spéciale : cette nouvelle manière de voir a tout dabord été développée par K. Rahner (1904-1984), pour être reprise ensuite dans ses aspects essentiels par beaucoup d'autres auteurs. Depuis le début de la vie humaine sur la terre, Dieu n'a jamais cessé de se communiquer à tous les hommes. Cette révélation « générale » est attestée par la Bible, avec Adam, Noé, le Livre de la sagesse, la Lettre de Paul aux Romains (Rm 1,19ss). Les grandes religions non chrétiennes sont les manifestations élevées de cette révélation générale. Mais ensuite la parole de Dieu est apparue de manière « spéciale » dans l'histoire du peuple de Dieu, à commencer par Abraham, en passant par les patriarches et les prophètes, et finalement, « dans ces temps qui sont les derniers », à travers Jésus Christ, la parole de Dieu incarnée et la plénitude de la révélation. Dans cette révélation « spéciale », la communication de Dieu de Lui-même, qui se produit également dans la révélation « générale », devient en même temps historiquement perceptible et visible ; elle reçoit un visage humain : Jésus de Nazareth. « Qui ma vu a vu le Père » (Jn 14,9). A partir de lui, la présence de Dieu dans toutes les religions s'éclaire. Cependant, même dans le cas de la révélation de Dieu en Jésus Christ, celle-ci ne sera pleinement dévoilée dans toute sa signification qu'à la fin des temps, à la parousie. Cest la mission de l'annonce chrétienne et du dialogue de l'Eglise avec les autres religions. Dans le temps intermédiaire, l'histoire des religions, ainsi que l'existence des religions non chrétiennes, contribuent au « dévoilement de la signification de la révélation ». Comprise ainsi, la reconnaissance de Jésus Christ, comme plénitude de la révélation, comme révélation de Dieu dans un être humain, est à mille lieues de rabaisser les autres religions ou de leur dénier toute relation à Dieu ou tout culte authentique de Dieu. Elle est comprise bien davantage comme une invitation à reconnaître les autres révélations comme des contributions diversifiées à la révélation de la signification plénière de la révélation. Ainsi, dans le dialogue des religions, les chrétiens aussi peuvent s'enrichir.
5. Le christianisme ne peut être fidèle à l'évangile qu'en tant que message de paix et de réconciliation. Jésus a refusé clairement et définitivement être le messie politique qu'attendaient ses concitoyens. Plutôt que de se révolter politiquement, il s'est décidé de mourir ; de pardonner et non de chercher la violence et la vengeance. Plus tard, en conséquence du soutien qu'elle reçut de l'empereur Constantin le Grand (règne 306-337), l'Eglise, de son côté, entra en liaison tellement étroite avec l'état, que, quelque fois elle appela à faire la guerre, la bénit et la justifia. Depuis maintenant des décennies, les églises et les papes se sont efforcées en toutes occasions de favoriser la paix et la justice. Il est certain que l'Eglise reconnaît aux individus et aux peuples le droit de se défendre, et, de même, le droit, et, le cas échéant, le devoir de s'opposer à des régimes qui sont clairement injustes. Le chrétien devrait cependant – là où c'est possible et quand c'est possible – préférer laction non violente (qui nest somme toute pas du tout inefficace !) et apporter sa propre contribution pour dépasser les étroitesses des idéologies religieuses fanatiques et nationalistes avec leur potentiel de violence.
6. La foi est un don libre de Dieu. Elle est librement acceptée ou rejetée par lêtre humain. L'histoire connaît des « conversions » qui eurent lieu sous la coercition ou la torture (cf. p. ex. Charlemagne et les Saxons), ou de cas où les conversions se sont passées pour des motifs purement humains et des facteurs sociaux, ou qui, à tout le moins, ont eu lieu dans cette mouvance.
Pendant de longues années ce fut l'opinion prédominante dans lEglise, que le système le meilleur pour les relations entre lEglise et l'Etat soit celui dans lequel le christianisme soit proclamé religion d'état et dans lequel « l'erreur na aucun droit ». Il est vrai que l'Eglise, dès ses débuts, a toujours à nouveau revendiqué cette liberté pour les personnes, de pouvoir sans inconvénients adopter la foi chrétienne ; elle fut toutefois plus réticente quand il s'agissait de reconnaître également la liberté du chrétien d'interpréter personnellement la foi chrétienne ou de l'abandonner, à savoir « passer à une autre religion » (cf. l'Inquisition). La prise de connaissance de ce long et douloureux processus, au long duquel l'idée de liberté religieuse s'est développée dans le christianisme, peut nous aider à mieux comprendre certaines attitudes, réactions et difficultés de la part des musulmans.
Depuis Vatican II et sa déclaration sur la liberté religieuse, l'attitude de l'Eglise est cependant sans ambiguïté aucune très claire, du moins au niveau normatif : la liberté religieuse est un des droits fondamentaux et absolus de l'être humain en tant que tel. Le chemin missionnaire doit être marqué par le respect de la dignité et l'opinion d'autrui. A partir de là, il s'agira de témoignage dans et au moyen de relations de dialogue. La foi est, par sa nature même, à exposer comme une demande et une invitation (voir 2 Cor 5,20), jamais à imposer (faith always is to be proposed not imposed). Chaque individu reste libre et responsable de son choix personnel, à la lumière de sa conscience et sous le regard de Dieu.
IV. Les chrétiens répondent
1. En ce qui concerne le pluralisme religieux
La pluralité des religions est un mystère. Cette question a, certes, un rapport avec le respect de Dieu pour la liberté humaine et d'autre part avec les conditions naturelles du développement religieux et culturel de l'humanité. Durant des millénaires, de grands groupements humains ont vécu dans l'isolement les uns par rapport aux autres, en Europe, en Asie et en Amérique. Le monde d'aujourd'hui, lui, est caractérisé par la mise en réseaux multiples et par la conscience de l'interdépendance. Il y a certes encore aujourd'hui de nombreuses tensions et des conflits armés entre les groupes humains. Les religions ont, sur ce point, un rôle significatif à jouer et ils sont, de cette façon, coresponsables de la réalisation d'une plus grande justice et harmonie dans les relations entre les nations, les blocs économiques et les communautés culturelles de notre monde. Il faut bannir tous les conflits (polémiques, prosélytismes déplacés) entre les religions, comme il faut aussi éviter le syncrétisme, qui détruit l'originalité et l'authenticité de la religion. Seul le dialogue et le processus qui en découle, apprendre l'un de l'autre, peut ouvrir les religions les unes sur les autres, en sorte que les hommes se rencontrent dans leur diversité et apprennent à mieux se connaître et à se comprendre. Dans ce cas, il ne s'agit pas de mettre entre parenthèses ses différences, mais, à chaque fois, de témoigner de sa propre foi et d'inviter les autres à ce qu'eux aussi reconnaissent ce que soi-même on a reconnu de vrai et de précieux. Ainsi, les croyants des différentes religions devraient essayer, chaque fois que cest possible, de donner ensemble un témoignage de foi, qui comprend aussi une réelle recherche d'unité, dans une humble attitude de soumission à la volonté de Dieu.
2. Plusieurs religions « universelles »
Cest un fait, que l'islam et le christianisme ont la prétention d'être universels. Il ny a pas de raison pour qu'ils renoncent à cette prétention. Tout dépendra des méthodes qui sont suivies pour atteindre cette universalité. On devrait aujourd'hui abandonné les méthodes qui reposent plutôt sur l'orgueil individuel ou collectif : appui de pouvoirs politiques, violence, guerre, coercition sous toutes ses formes et ses occurrences – même les plus subtiles. Le seul chemin, digne et acceptable de la part de Dieu et des hommes, pour conférer une valeur universelle aux valeurs que l'on tient pour vraies et pertinentes, c'est le témoignage d'une foi vivante, du dialogue et le l'émulation spirituelle, avec le respect indispensable pour la décision libre des personnes et des consciences.
3. Les religions, responsables des guerres
Nous devons reconnaître que des religions ont été, dans le passé, ont été responsables, ou, du moins coresponsables de guerres, et qu'aujourd'hui on n'en a pas encore terminé avec elles. Le tout est à considérer comme un problème avec des ombres et des lumières. Au cours de l'histoire, le facteur religieux a, de nombreuses fois, amenuisé ou empêché la violence. Que l'on pense à l'institution de la « paix de Dieu » durant le Moyen-Âge chrétien, ou à la préoccupation pour les prisonniers et les victimes innocentes, inspirée par les religions. De plus, la raison principale de ces guerres de religion n'était pas tellement l'hostilité entre les religions elles-mêmes, mais plutôt le désir et la soif du pouvoir par des individus et des groupes humains (empires, dynasties et nations), les religions étant alors utilisées pour satisfaire l'orgueil des personnes ou des collectivités. Enfin, en ce qui concerne les conflits contemporains, il est indispensable de vérifier avec un œil critique les informations, avant d'attribuer sans plus à ces conflits des origines religieuses : le Liban, l'Irlande du Nord, les Balkans, les Philippines, l'Afghanistan, voilà des exemples pour lesquels ce serait une simplification de caractériser ces conflits de religieux sans plus. En fait, dans la plupart de ces cas, les autorités religieuses, bien loin d'avoir fomenté ces luttes, se sont, bien au contraire, à chaque fois engagées avec force en faveur de la paix et de la réconciliation.
4. A propos de la liberté religieuse(64)
La liberté religieuse est un des droits inaliénables de chaque personne humaine. Le réprimer ou l'entraver est une offense contre Dieu et contre l'humanité. Ce sont les liens entre la religion et l'état qui, dans le passé – et aujourd'hui encore – sont d'abord responsables des importants fautes dans ce domaine (ou, aujourd'hui, les liens entre le nationalisme et l'état, ou encore entre l'athéisme pratique de type capitaliste ou socialiste et un appareil étatique). Toutes les religions ont le droit de se libérer de pareils systèmes et de briser la résistance qu'ils montrent à un exercice effectif de la liberté religieuse.
Chacun, qu'il soit chrétien ou musulman, vit et s'engage en faveur de la solidarité avec sa propre communauté religieuse ou son propre groupe religieux, dans la paix et la prospérité, qu'il sagisse de l'Umma ou de l'Eglise ou d'autres groupes. Il faut cependant aussi que l'on respecte entièrement la libre décision d'une personne par rapport à la foi et à l'appartenance religieuse, dans la mesure où une telle décision a été prise selon sa conscience et selon la lumière communiquée par Dieu. La seule loi à respecter dans ce domaine est d'obéir à la voix de sa conscience, à savoir, la conscience qui cherche honnêtement la vérité. Seul Dieu peut sonder les reins et les cœurs et juger. A cause de l'authenticité de la foi et de la religion, il faut que l'on puisse les choisir ou les refuser dans une totale liberté. Aussi chacun de nous a le devoir de rester continuellement à la recherche de la volonté de Dieu.
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- (64) Avec la « Déclaration sur la liberté religieuse » (Dignitatis Humanae), lEglise catholique sest liée irrévocablement au principe fondamental de la liberté religieuse dans la société.